187 poilus du Forez et de sa périphérie témoignent

L'ouvrage de Lucien Barou

1914. La Première Guerre mondiale signait tragiquement l’entrée dans le 20e siècle. Cent ans plus tard, Lucien Barou publie Mémoires de la Grande Guerre, 187 Poilus du Forez et de sa périphérie témoignent. Un ouvrage de 5 tomes qui donne directement la parole aux héros des tranchées, à consulter aux Archives départementales de la Loire ou à télécharger.

Interview de Lucien Barou, propos recueillis par Peggy Chabanole

D’où vient votre intérêt pour la Grande Guerre ?
Il est arrivé indirectement ! En 1974, au terme de mes études de lettres modernes, je récoltais des témoignages de personnes qui parlaient patois pour ma thèse de doctorat en dialectologie. C’étaient surtout des hommes et beaucoup avaient fait la guerre de 14-18. Ils me parlaient de leur expérience… Et plus j’en interrogeais, plus j’apprenais des choses qui n’étaient jamais parues dans les livres.

Vous avez recueilli 187 témoignages…
Mon grand-oncle est le premier Poilu que j’ai interrogé, en 1974. Le dernier fut Louis de Cazenave en 2005, à l’âge de 108 ans. Au total, j’ai interviewé 160 Poilus, dont onze en patois. Les 27 autres, décédés, étaient représentés par des écrits. J’ai consacré une grande partie de mon temps libre à ces rencontres. Des liens très forts se sont tissés avec certains d’entre eux.

Quels maux de guerre ont été les plus marquants ?
Il fallait mourir ou tuer ! Mais il y avait différents rapports à la mort. Par exemple, la baïonnette était du corps à corps, plus monstrueux que l’obus lancé de loin. « J’ai peut-être tué un père de famille » revenait régulièrement aux lèvres de ces anciens Poilus. Les grandes expériences tournaient également autour des blessures. Antoine Pinay, qui m’a reçu à l’âge de 97 ans, a été victime d’un éclat d’obus qui lui a traversé le bras droit.

Ces expériences ont dû être difficiles à porter par la suite ?
Je pense notamment à un Poilu de La Pacaudière qui avait été chargé d’aller chercher le ravitaillement à des kilomètres en arrière à travers les tranchées et la boue. On dit que l’armistice a eu lieu le 11 novembre 1918 à 11 heures… Certains l’ont appris un tout petit peu avant. Comme ce monsieur qui n’a pu s’empêcher d’annoncer la nouvelle en arrivant vers 9 h 30. À cet instant, trois hommes sont sortis des abris trop heureux… Ils se sont fait tuer par un obus. Ce Poilu s’est senti toute sa vie responsable. Il me répétait : « J’aurais jamais dû le dire. »

Tous les Poilus se souvenaient-ils de la guerre ?
Pas tous. Mais même quand vous avez tout oublié, il vous reste des bruits. J’ai rencontré un ancien soldat qui avait la maladie d’Alzheimer. Il avait été dans l’artillerie, et il imitait le bruit du vol de l’obus avant qu’il tombe à la perfection. Il me décrivait le type d’arme : « Le 88 fait tel bruit, le 77 fait comme ça… » De superbes imitations qui venaient des tripes !

À quoi se raccrochaient ces hommes dans les tranchées ?
Je me souviens d’un tailleur de pierre, caporal à Verdun. Il était dans une section de 48 personnes, mais en quelques secondes, il s’est retrouvé seul survivant après des tirs d’obus. Il a passé trois jours sans bouger avec une jambe broyée et une épaule brisée. Je lui ai demandé à quoi il avait alors pensé : il m’a répondu « à ma fiancée… » Et pendant qu’il me contait son histoire, cette dernière était juste à côté… Ils venaient de fêter leurs 70 ans de mariage.

Que ressentez-vous aujourd’hui pour ces gens ?
De l’admiration. Cette génération-là a été héroïque. Réussir à vivre après avoir commencé sa vie comme ça… c’est un miracle.